Les congés payés dans le portage salarial

Comme tous salariés, les salarié.e.s porté.e.s bénéficient de congés payés. Seulement, dans de nombreuses Entreprises de Portage Salarial (EPS), l’indemnité de congés payés est versée mensuellement sous la forme d’une majoration de 10% intégrée à la rémunération brute. Mais est-ce bien légal ? Et quels sont les conséquences d’une telle pratique tant la/le salarié.e porté.e que pour l’EPS ?

Nous tenons à rappeler que les règles applicables dans le portage salarial en matière de congés payés sont édictées à l’article 28 de la Convention collective de branche des salariés en portage salarial du 22 mars 2017. Cet article se borne à reprendre les dispositions Chapitre Ier, du Titre IV, du Livre Ier, Troisième partie de la partie législative du Code du travail. Pour information, une grande partie de dispositions précitées est d’ordre public, qui veut dire qu’il est impossible d’y déroger même par accord.

Mais que disent ces textes précisément ?

  • Les salarié.e.s porté.e.s acquièrent, pour chaque mois de travail effectif, 2,5 jours ouvrables au titre des congés payés. Ce qui donne 30 jours ouvrables pour une année complète de travail.
  • La période de référence pour l’acquisition des congés, sauf accord d’entreprise contraire, du 1er juin au 31 mai de l’année suivante.
  • Les congés peuvent être pris, dès leur acquisition, sans conditions d’ancienneté.
  • Les congés payés doivent être pris, chaque année, par la/le salarié.e et ne peuvent pas être remplacés par le versement d’une indemnité compensatrice[1], même à la demande de la/du salarié.e. Seule exception à cette règle, les salarié.e.s qui ne peuvent pas exercer leur droit à congé du fait de la rupture de leur contrat de travail.

Sur ce dernier point, bon nombre d’EPS sont dans l’illégalité la plus totale en versant chaque mois un 1/10e de la rémunération au titre des congés payés, décorréler de toute prise effective de congés. D’ailleurs, le fait, pour une EPS, de méconnaître les dispositions du Code du travail, relatives aux congés payés, ainsi que celles des décrets pris pour leur application, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe (1.500,00 €), prononcée autant de fois qu’il y a de salariés concernés par l’infraction. La récidive est réprimée conformément aux articles 132-11 et 132-15 du code pénal.

En matière d’indemnisation du congé payé, il existe deux règles de calcul applicables :

  • 1/10e de la rémunération brute perçue par l’intéressé au cours de la période de référence ;
  • la rémunération que le salarié aurait perçue s’il avait continué à travailler (maintien de salaire).

L’EPS doit appliquer la disposition la plus favorable à la/ au salarié.e porté.e. Là, encore cela est loin d’être le cas, car comme indiqué plus haut, nombreuses sont celles qui pratiquent exclusivement que la règle du 1/10e. Il faut avouer que dans la grande majorité des cas, il n’y aucun impact. Mais cela ne doit pas les dispenser de vérifier au coup par coup laquelle des deux dispositions doit être appliquées.

Quels risques pour l’EPS de ne respecte pas le droit aux congés payés ?

Outre les dispositions pénales déjà évoquées, il existe aussi un risque de condamnation de l’EPS pour « faute inexcusable de l’employeur » si par malheur un.e salarié.e porté.e venait à avoir un grave accident du travail, du fait de la fatigue accumulée par le manque de repos.

Car dans ce cas, il n’est pas assuré que les dispositions des articles L.1254-15 et L.1254-23 du Code du travail s’appliquent. En effet, l’entreprise cliente n’a pas obligatoirement connaissance du nombre de congés pris par la/le salarié.e porté.e. Comme par exemple dans le cas où la/le salarié.e porté.e qui réalise des missions de moyenne durée les unes derrières les autres. Sa responsabilité ne pouvant être engagée qu’en cas d’accident du travail lié au rythme de travail qu’elle aurait imposé à la/au salarié.e porté.e. Dans les autres cas, c’est l’EPS qui est responsable car garante du respect des droits au repos des salarié.e.s porté.e.s, en veillant à ce que dernier.e.s posent régulièrement leurs congés. Ce manquement pourrait avoir des répercutions financières très importantes qui rejailliront, nécessairement, sur l’ensemble des salarié.e.s porté.e.s de l’EPS.

En la matière, la pratique, quasi-généralisée, du 1/10e va souvent de pair avec une non vérification de la durée réelle de travail des salarié.e.s porté.e.s, encourageant ainsi ces dernier.e.s à ne pas prendre de congés afin d’augmenter leurs revenus, et donc ceux de l’EPS.

Quels incidences pour la/le salarié.e porté.e ?

Première des incidences pour les salarié.e.s porté.e.s concerne la mise en danger de leur santé et leur vie privée. Une thèse, préparée dans le cadre du Réseau doctoral en santé publique animé par l’EHESP et présenté le 17 décembre 2021[2], sur l’« État de santé et consommation de soins des travailleurs indépendants » conclu sur « la profonde détérioration du capital santé des travailleurs indépendants » au fil des années.

Seconde incidence, plus pragmatique et immédiate, celle portant sur le calcul des allocation chômage. La pratique du versement mensuel du 1/10e au titre des congés payés a un impact important sur le salaire de référence pris en compte par Pôle Emploi pour calculer le Salaire de Référence Journalier (SRJ). En effet, les services de l’assurance chômage déduisent les indemnités de congés payés non rattachées à un congé pris de votre rémunération brute qui va servir de base au SRJ. Cette déduction n’est pas neutre car elle abaisse, de fait, le taux de remplacement de votre ancienne rémunération de près de 5 points, en passant de 57% à 52%.

En ce qui concerne la CGT, nous sommes pour un retour aux dispositions légales, et donc pour l’arrêt de la pratique du versement automatique du 1/10e qui, outre qu’elle soit illégale, fait peser directement ou indirectement sur les salarié.e.s porté.e.s un certain nombre de risques inutiles.


[1] https://travail-emploi.gouv.fr/droit-du-travail/les-conges-payes-et-les-conges-pour-projets-pro-et-perso/article/les-conges-payes.
[2] « État de santé et consommation de soins des travailleurs indépendants », thèse préparée dans le cadre du Réseau doctoral en santé publique animé par l’EHESP – https://www.irdes.fr/recherche/theses-et-memoires/these-auge-estelle-etat-de-sante-et-consommation-de-soins-des-travailleurs-independants.pdf

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