“Les employeurs ne pourront pas prétendre qu’ils n’avaient pas connaissance des consignes sanitaires” (Cédric Jacquelet)

Les salariés qui poursuivent leur activité professionnelle au contact des malades, du public, sur des sites, prennent le risque de tomber malade. Comment le Covid-19 du personnel soignant va-t-il être reconnu comme maladie professionnelle ? Tous les personnels soignants sont-ils concernés ? Les salariés des autres secteurs pourront-ils demander la reconnaissance d’une maladie professionnelle ? Une faute inexcusable pourra-t-elle être invoquée ? Cédric Jacquelet, avocat associé au cabinet Proskauer répond à ces questions dans une interview pour AEF Info. Il précise également dans quelles conditions l’employeur pourrait voir sa responsabilité engagée.

Cédric Jacquelet, Avocat associé, Proskauer Droits réservés – DR

AEF info : Comment l’infection au Codiv-19 du personnel soignant va-t-elle être reconnue comme maladie professionnelle ?
Cédric Jacquelet : Le Premier ministre a annoncé le 23 mars 2020 lors d’une interview télévisée que le personnel soignant contaminé par le Codiv-19 bénéficiera du régime des maladies professionnelles. Cette annonce devrait se traduire par l’inscription du Covid-19 à l’un des tableaux des maladies professionnelles.

Cette inscription relève du domaine réglementaire, le décret devant être pris après avis du Conseil d’orientation des conditions de travail.

Concrètement, il s’agira de définir, pour cette pathologie, le type de travaux de nature à représenter un risque professionnel, éventuellement une durée d’exposition à ce risque et le délai pendant lequel, post-exposition, la maladie devra se manifester. Le salarié qui la déclarera dans ce délai et qui aura accompli les travaux jugés à risque bénéficiera d’une présomption. Autrement dit, son affection sera reconnue professionnelle, sauf à ce que l’employeur démontre qu’elle a une autre origine. Dans le cas du Covid-19, une telle preuve risque d’être difficile à rapporter.

AEF info : Tous les personnels soignants sont-ils concernés ?
Cédric Jacquelet : La question de savoir qui sont “les soignants”, c’est-à-dire quel type de travaux seront considérés comme à risque, va se poser. La délimitation n’est pas facile. Les tâches supposant un contact direct avec les malades atteints du Covid-19 seront certainement incluses, de sorte que les soignants qui les réalisent bénéficieront de cette présomption.

Mais elle est plus délicate pour ceux qui travaillent dans un autre service à l’hôpital, par exemple une psychologue travaillant dans un service pédiatrique si elle tombe malade.

De même, qu’en sera-t-il pour le personnel non-soignant mais qui assure, par exemple, l’entretien des locaux ? Bien que leur degré d’exposition au risque ne soit sans doute pas le même, leur exclusion du dispositif serait probablement mal perçue car il reste a priori nettement supérieur à la moyenne.

AEF info : Pour les salariés des autres secteurs, l’inscription du Covid-19 au tableau des maladies professionnelle est-elle la seule solution ?

Cédric Jacquelet : Non, il est possible pour un salarié de déposer une demande de reconnaissance d’une maladie professionnelle hors tableau. Tel pourrait être le cas, par exemple, d’un salarié d’une grande surface alimentaire qui tombe malade.

Le salarié doit, pour cela, d’abord déclarer sa maladie comme professionnelle auprès de la Cpam. Puis, il doit déposer une demande motivée de reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie. La Cpam prendra alors l’avis du médecin du travail, de l’employeur, ordonnera éventuellement une enquête et fera établir par ses services de contrôle médical un rapport sur le taux d’incapacité permanente du salarié. Un comité régional sera ensuite saisi et prendra une décision.

On le voit, la procédure est longue et surtout, dans le cas particulier du Covid-19, on peut s’interroger sur la possibilité pour un salarié de démontrer l’origine professionnelle de sa pathologie. Le cas n’est cependant peut-être pas totalement exclu, notamment pour les travailleurs qui auront été exposés à des situations de contact rapproché (avec leurs collègues, le public) sans mesures de protection suffisantes, ou jugées comme telles a posteriori.

AEF info : Quelles sont les chances de reconnaissance ?

Cédric Jacquelet : On peut penser que le raisonnement des juridictions sera analogue à celui tenu dans le cas des pathologies liées à l’amiante. Les juridictions rechercheront, a posteriori, quelles informations étaient disponibles concernant les mesures de prévention et pourraient estimer qu’elles auraient dû être mises en œuvre par les employeurs, même lorsqu’elles n’ont été diffusées que de façon relativement confidentielle.

AEF info : La maladie contractée par un salarié au travail sera-t-elle présumée professionnelle ?

Cédric Jacquelet : Si le Covid-19 est inscrit à l’un des tableaux des maladies professionnelles, les salariés qui rempliront les conditions requises (nature des tâches, durée d’exposition éventuellement, délai d’apparition de la maladie) bénéficieront de cette présomption. Les autres non.

AEF info : Les salariés pourraient-ils demander une reconnaissance de faute inexcusable ?

Cédric Jacquelet : Comme il semble à ce jour peu probable qu’une infection par le Covid-19 soit qualifiée de maladie professionnelle, sauf pour les personnels soignants, le risque de reconnaissance d’une faute inexcusable paraît encore plus limité puisqu’il faudrait que cette reconnaissance intervienne et que l’employeur ait manqué à ses obligations en matière de prévention des risques.

AEF info : La responsabilité de l’employeur pourrait-elle être engagée autrement ?

Cédric Jacquelet : Si le risque de reconnaissance d’une faute inexcusable paraît limité, il faut cependant rester très prudent, car la responsabilité des entreprises pourrait être engagée par d’autres voies.

“D’un côté, au titre des impératifs de santé publique, la population est invitée à limiter au strict minimum les contacts rapprochés. De l’autre, au nom d’impératifs économiques, les entreprises sont exhortées à maintenir leur activité dès lors que celle-ci n’est pas interdite. Quelle lecture prévaudra une fois la crise passée si des juridictions viennent à être saisies ? “

Sans évoquer d’éventuelles actions pénales, par exemple pour mise en danger de la vie d’autrui, des procédures en reconnaissances d’un préjudice d’anxiété, par exemple, pourraient être intentées par des salariés dont les employeurs n’auraient pas mis en œuvre les mesures de prévention appropriées. Il est vrai que l’exposition à un risque de contamination par le Covid-19 ne répond pas aux critères actuels de la jurisprudence, qui semble exiger que l’agent pathogène générateur du risque soit inhérent à l’activité de l’entreprise, mais cette jurisprudence a déjà évolué, pour s’ouvrir à d’autres cas que l’exposition à l’amiante et pourrait à nouveau être assouplie.

Les entreprises ont donc tout intérêt à faire preuve de la plus grande vigilance, ce d’autant que la communication gouvernementale est aujourd’hui paradoxale. D’un côté, au titre des impératifs de santé publique, la population est invitée à limiter au strict minimum les contacts rapprochés. De l’autre, au nom d’impératifs économiques, les entreprises sont exhortées à maintenir leur activité dès lors que celle-ci n’est pas interdite. Quelle lecture prévaudra une fois la crise passée si des juridictions viennent à être saisies ? Il est assez difficile de le prédire, mais en tout cas les employeurs ne pourront pas prétendre qu’ils n’avaient pas connaissance des consignes sanitaires.

Les entreprises qui ne peuvent placer l’ensemble de leurs salariés en situation de télétravail sont bien entendu les plus exposées. Parmi elles, certaines peuvent être confrontées à une réelle difficulté pour mettre en œuvre les consignes sanitaires. En particulier celles dont l’activité implique pour les salariés de se tenir par moments à faible distance de leurs collègues, sans possibilité de placer une barrière physique entre elles. Ce peut être le cas dans le secteur du BTP mais également dans beaucoup d’activités manuelles dans lesquelles certaines manipulations doivent être effectuées à deux.

AEF info : Quels conseils donner aux employeurs ?

Cédric Jacquelet : L’employeur doit évidemment permettre un respect scrupuleux des consignes sanitaires publiques. Il convient donc de réduire au maximum le nombre de salariés présents sur les lieux de travail par le biais notamment du télétravail qui, s’il n’est pas obligatoire à proprement parler, est tout de même très fortement recommandé.

S’il n’est pas possible de le mettre en place, l’employeur doit adapter les conditions de travail en fonction des consignes sanitaires qui se sont enrichies depuis le début de la pandémie (elles visent maintenant, par exemple, le nettoyage des lieux de travail, le fractionnement des temps de pause, etc.). Il doit aussi s’assurer qu’elles sont suivies. Il devra également les adapter en fonction de leur évolution et la mise en place d’une cellule de veille, chargée de signaler toute nouvelle consigne ou toute modification de l’une d’elles, est conseillée.

AEF info : Quel peut-être le rôle du médecin du travail, du CSE ?

Cédric Jacquelet : Le médecin du travail peut jouer un rôle. L’employeur peut lui soumettre les consignes et l’interroger, en cas de problème, sur l’adaptation des consignes sanitaires aux spécificités de l’entreprise. Par ailleurs, les représentants du personnel peuvent jouer un rôle utile et le gouvernement incite d’ailleurs à les associer aux démarches de prévention.

AEF info : Quelles autres mesures ?

Cédric Jacquelet : Le code du travail contient déjà des dispositions qui facilitent la mise en œuvre de ces mesures de prévention urgentes. Par exemple, elles peuvent entrer en vigueur immédiatement sans attendre la consultation du CSE ni le délai d’un mois suivant le dépôt des ajouts au règlement intérieur.

Pour les entreprises où la mise en œuvre des consignes sanitaires est très difficile, voire impossible, la mise en activité partielle doit être envisagée au titre du principe de précaution. L’entreprise qui ne suit pas les préconisations sanitaires prend en effet un risque nettement plus élevé à l’égard des salariés contaminés. La motivation de la demande devra être scrupuleusement examinée, et la démonstration de l’impossibilité de maintenir l’activité rigoureuse. Néanmoins, même si l’autorisation devait être refusée, le fait d’avoir présenté une demande constituera un élément en faveur de l’employeur si un salarié tente de mettre en cause sa responsabilité.

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